Un placard, c’est petit et plein de poussière

Tu existes, sans nom et sans forme. Tu as vendu la terre verte, le soleil et les étoiles pour te sauver. Mais tu n’es pas toi. Tout ce que tu as vendu, tout cela est toi. Tu as tout donné pour rien.

Ursula Le Guin, Terremer

Et je suis allergique à la poussière.

Quand on s’est mis en relation polyamoureuse avec un couple d’amis deux autres patates, on a d’abord construit ça entre nous, à grand renfort de câlins et de communication. Et puis après avoir passé un peu de temps ensemble, avoir plus ou moins stabilisé les relations et estimé que ça risquait d’être un peu plus pérenne qu’un tas de frites dans mon assiette feu de paille, est venu le moment d’en parler autour de nous.

Pour moi, en parler autour de soi, c’est une évidence. A mon sens, une relation amoureuse cachée du reste du monde se tire une balle dans le pied. Tant que tout va bien, encore, ça peut sembler une bonne idée (pour vivre heureux, vivons cachés… slogan des echo chamber) mais s’il y a une dérive malsaine, d’autres problèmes ou en cas de rupture, on se retrouve le bec dans l’eau avec zéro soutien et un gros trou dans le cœur la patate.

Ça peut paraître délicat comme sujet à aborder avec des amis, des proches, des parents. Je me suis posé la question pendant quelque temps (pas bien longtemps quand même). J’avais peur d’en parler, d’être jugée, ou que ça soit trop lourd à porter pour mes proches. Et comme d’habitude, quand j’ai peur de dire quelque chose, c’est justement quand c’est le plus important de le dire. Éviter un fardeau à ses amis, c’est une idée intéressante, mais en fait les amis c’est un peu fait pour ça aussi, pour être là en cas de coup dur. Sans compter qu’on peut difficilement aimer ce qu’on ne connait pas. Mes amis m’aiment, pour ce que je suis, alors pour qu’on puisse de temps en temps réactualiser notre relation, je parle de moi, et ils parlent d’eux aussi. C’est le deal.

Donc pour moi, faut en parler. A qui on veut, au rythme qu’on veut, mais de manière générale, il faut en parler, et je dirais plutôt le plus largement possible.

Sortir du placard n’est pas anodin, quel que soit le sujet. Les réactions que j’ai connues, après pas mal d’explications, varient de « Tant que vous êtes bien c’est cool » à « Moi je pourrais jamais » en passant par un ou deux « Ok mais vous en parlez pas à mes enfants » voire « On t’aime mais on ne veut pas les voir sous notre toit ». Ce qui somme toute est assez positif comme accueil général. Personne ne m’a reniée. Bon par contre, les gens qui ne veulent pas voir mon nouveau compagnon alors qu’ils ne le connaissent pas, y’a des chances qu’ils ne voient pas beaucoup ma tête non plus, mais passons.

Alors après, jusqu’où on en parle. Quand quelqu’un a un compagnon, un époux, c’est facile d’en parler au boulot, chez des amis d’amis, partout. On connait tous la situation maritale de nos collègues, hein, ça vient pas de nulle part. C’est officiel, et c’est une information somme toute importante si jamais on veut organiser une choucroute-party (quoique ça serait cool) un pot ou une sortie avec des gens – si chacun vient seul ou accompagné le nombre de personnes varie grandement : du simple au double. Et bien quand on est polyamoureux, comment dire…

Je sais pas si c’est officiel. Socialement, c’est compliqué. En vrai, j’ai 2 compagnons, mon époux a 2 compagnes, et en soirée ou le week-end on s’organise généralement à 4. C’est une information qui aurait tout autant d’importance que dans le cas mono-normatif précédent, encore plus même. Pour inviter une bande de polyamoureux à un événement, il faut que chacun précise à combien il vient, sans qu’on puisse estimer a priori si ça sera plutôt 1, 2 ou plus, beaucoup plus.

Alors oui, il serait de bon ton d’en parler. Il y a encore nombre de situations où je n’ose pas le faire. Au boulot, personne ne parle d’autre chose que de son compagnon ou sa compagne en toute monogamie bien comme il faut. C’est normal, j’imagine bien que la plupart des gens ne sont pas polyamoureux, et ceux qui trompent leur compagne/compagnon ont le bon goût de ne pas le crier sur les toits. Mais du coup, je ne sais pas comment on fait pour dire à ses collègues qu’on est polyamoureux. Que pour la soirée jeux, il y aura moi, mon époux, sa maîtresse et mon amant. Et vous pouvez amener les enfants, hein! S’ils aiment jouer. Je ne sais pas si ça se fait, je ne sais pas si c’est une bonne idée, ou si ça va me revenir dans la tête à grande vitesse en mode « Pas de ça dans notre entreprise familiale ». Là où avec mes amis, ma famille, je ne risquais somme toute que mes relations (et puis bon, pas beaucoup), là il s’agit de mon gagne pain quand même. Je ne suis pas enchaînée à ma boîte, mais elle est bien et j’aimerais autant ne pas avoir à en changer tout de suite.

Bref, j’hésite. Je n’ai pas besoin de reconnaissance. Mais j’en ai envie. J’aimerais pouvoir dire à mes collègues que je suis allée en vacances avec mon autre partenaire cette fois-ci, pas avec mon époux, c’est pas trop son truc à lui. Et que le barbecue du week-end dernier, c’était avec ma famille entière, 4 personnes, on fait pas de barbecue juste tous les deux en fait. J’aimerais pouvoir en parler normalement. Ça ne fait de mal à personne, ça ne va pas changer leur vie, je ne milite pas, je ne fais pas de vagues…

J’ai commencé à tourner autour du sujet, disons. Pour certains j’ai tendu la perche, mais elle n’a pas été saisie. Pour d’autres, le rapport hiérarchique m’embarrasse.
Que c’est compliqué, de sortir du placard.
Mais je crois que c’est important.

Auteur : polypatate

Patate polyamoureuse

4 réflexions sur « Un placard, c’est petit et plein de poussière »

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