Dans l’obscurité de la lune, nos rêves éclairent le chemin.
Bande son : Hello, de Adele ; Not Only Human, de Heather Nova.
La marche sur les chemins de Compostelle, que j’ai faite avec une amie à l’été 2018, a été un tournant dans ma vie.
C’était une période particulière, évidemment. Cela faisait 2 ans que j’avais arrêté de mentir, et que je cheminais sur un nouveau chemin plein de lumière, d’amour, avec davantage de foi que j’en avais jamais eu.
De la foi j’en avais déjà beaucoup, en réalité. Ce qu’il me manquait, c’est le courage de tout bouleverser, de renverser le statut quo, de prendre des décisions aussi difficiles que nécessaires.
Et puis tout a basculé, et je me suis retrouvée une fois la poussière retombée, déjà cheminant sur le bon chemin, celui dans lequel j’allais pouvoir me réaliser. Je n’avais aucune certitude, mais je sentais que c’était bien, bon, et juste, pour tout le monde.
Mais il a fallu que je parte sur les chemins de Compostelle pour que j’arrive à prendre la décision la plus difficile que j’aie eu à prendre. Elle avait ce goût des décisions difficiles, d’une évidence amère, d’un doux abandon, le goût que ça a de rendre les armes, quand on se rend compte qu’il n’y a pas d’autre choix. C’était une décision difficile un peu comme une autre, à l’époque. Difficile, mais je l’ai prise rationnellement, en l’ayant pesée pendant longtemps. Donc je l’ai prise de la même manière que toute autre décision difficile. C’est rétrospectivement que je peux dire que c’était la plus difficile de toutes. Celle qui m’a le plus coûté, et qui me coûte encore. Ca m’a coûté un rêve, autant dire un bras, toute une vie. Rétrospectivement, je sais aussi que c’était une bonne décision, même si sur le moment, elle n’a fait à peu près que des malheureux.
Je ne sais pas ce qui se serait passé si je n’étais pas partie alors. Probablement que j’allais dans cette direction de toute façon. Et puis lui aussi, il est parti, autant dire que tout se rejoignait quelque part. Si je n’avais pas été marcher, la gestation aurait peut-être été plus longue, plus progressive, ou plus passive.
En fait, j’aurais très bien pu ne pas partir. J’ai simplement mis mes pas dans ceux de mon amie, qui voulait aller marcher sur les chemins de Compostelle, en l’occurrence partir du Puy-en-Velay avec un sac à dos pour aller jusqu’à Conques. Pour avoir bien voulu de ma compagnie, je pense que je l’ai déjà remerciée, mais j’en profite pour la remercier encore, parce que c’était vraiment cool de sa part.
Il se passe quelque chose de spécial quand on part marcher sur les chemins de Compostelle. Oui, spécifiquement sur les chemins de Compostelle. J’ai fait bien d’autres randonnées, et il y a un mix spécial, un peu magique, qu’on ne trouve que sur les chemins de Compostelle :
- Si on va vers Compostelle, on s’éloigne de chez soi. Et ça, c’est un peu magique en soi. On s’éloigne de sa vie, et on peut prendre du recul.
Dès qu’on est parties du Puy, j’ai senti que je m’éloignais de chez moi. Que je sortais de ce que je connaissais, que je sortais de ma vie habituelle, pour aller vers l’inconnu. A chaque pas que je faisais, je m’éloignais un peu plus de ma vie quotidienne, de mes amoureux, de ma maison, mon travail. Avec les jours qui passaient, de nouvelles habitudes de vie remplaçaient les précédentes. On change très vite d’habitudes en fait.
Et changer ces habitudes, ça permet de les questionner. Plus je marchais, plus je prenais du recul sur ma vie en fait. Plus je m’en éloignais, plus je pouvais la considérer d’un œil critique. Et lorsque j’ai été suffisamment loin, j’ai pu la remettre en question. Sortie de certaines dépendances, j’ai pu poser un regard critique sur mes relations, sur ce qu’elles signifiaient pour moi. Et prendre certaines décisions. J’ai résolu de ne pas agir pendant que j’étais sur les chemins de Compostelle, de prendre le temps de la réflexion une fois revenue, mais certainement tout ce que j’ai mis en œuvre à mon retour était déjà larvé à ce moment-là.
S’éloigner de chez soi, c’est quelque chose qu’on fait chaque jour pour aller travailler, et ça nous rend différents jusqu’à ce qu’on rentre chez soi. Alors imaginez un peu faire ça mais plus longtemps, en vous éloignant de tout, et une seule fois. Sans aller faire quelque chose de précis, mais juste vers soi. C’est ça, marcher sur les chemins de Compostelle.
D’accord, ça ne marche que si on va vers Compostelle. Dans le sens inverse, on va vers chez soi, et je pense que ça doit être intéressant aussi. Peut-être qu’il faudra que j’essaie le retour, à l’occasion. Peut-être que ça permet de se ramener à soi, de se retrouver, de se recentrer, si on marche sur le chemin du retour de Compostelle.
Tout dépend de ce dont vous avez besoin. Les deux me semblent être complémentaires. - Il y a plein de monde, sur les chemins de Compostelle. C’est souvent le cas sur les chemins de Grande Randonnée pendant l’été, mais vraiment, c’est nettement plus le cas encore sur les chemins de Compostelle. C’est peut-être quelque chose qui vous rebutera d’ailleurs, si vous préférez marcher seul. En l’occurrence, pour moi, et peut-être pour mon amie aussi, c’était plutôt rassurant. On se dit qu’on ne sera pas seul, si jamais il arrive un truc. D’ailleurs tous les témoignages qu’on peut lire vont dans ce sens : on sent la solidarité de la communauté et des autres humains, sur ces chemins, et ce quelle que soit leur nationalité, leurs croyances ou leur personnalité.
Ca fait un bien fou, si on a été abîmé à ce sujet, et puis ça libère aussi, ça enlève de l’anxiété, de se dire qu’on n’a pas à tout faire tout seul. Que même si on n’est pas tous d’accord même sur des choses importantes, on peut se côtoyer, être et vivre dans la même société, et même partager des choses et de bonnes choses, dans le respect de chacun. Voire même qu’on ne dépend pas nécessairement de nos amoureux, de notre famille, ou de quiconque en fait, quand le concept de communauté, ou de fraternité humaine, existent.
Sur les chemins de Compostelle, on est toujours seul, parce qu’on est seul dans sesbasketssandales, et qu’on marche à son rythme ; mais on n’est jamais seul, parce qu’il y a plein de gens qui marchent comme nous. Même si on ne les voit pas, si on attend quelques minutes on en trouvera. De même, il y a plein d’auberges, d’hôtels et de gîtes sur le chemin. Même en saison haute, on peut généralement prévoir son hébergement du matin pour le soir. Pas besoin de se prendre la tête. Les sentiers sont bien balisés, on ne se perd pas (ou alors il faut vraiment le chercher). On n’est pas en difficulté technique dans cette randonnée. On peut y aller dans une relative sérénité.
Pour moi clairement, cette tranquillité d’esprit est nécessaire à ce que mes pensées émergent, à ce que la prise de recul se fasse. Il faut que je me sente en sécurité pour que je puisse me laisser aller à remettre en cause des éléments importants et structurants de ma vie.
Et puis on sent qu’on met nos pas dans ceux de milliers, de millions d’autres, sur les chemins de Compostelle. Cette remise en perspective, ça rend humble. On peut prendre des décisions sur sa propre vie, quand on est peu de chose, ça aide. Et puis il y a la dimension historique. On touche à quelque chose qui porte des valeurs, qui est plus grand que nous sur Compostelle, plus qu’ailleurs. Je ne sais pas trop comment, mais ça infuse en nous je crois. Par percolation, on s’en trouve grandi. Quelque chose comme ça. - Les chemins de Compostelle, ils sont chiants aussi.
Ils sont beaux, hein. On voit plein de paysages magnifiques. On se dépasse physiquement (surtout quand on ne marche pas à longueur de journée d’habitude, donc pour la plupart des gens). On fait de belles rencontres.
Oui mais ils sont chiants aussi. On marche souvent sur des routes goudronnées, sans intérêt. Entre deux jolis points de vue, deux villages vaguement médiévaux, c’est toujours les mêmes forêts, les mêmes petits sentiers qui sont trop mignons et trop jolis la première fois, et que tu arrêtes vite de prendre en photo, et au bout de quelques jours tu ne les vois même plus. On s’amuse des sauterelles rouges et bleues qui s’envolent quand on marche parce que très honnêtement, il n’y a rien qui se passe d’autre pendant de longues heures. La péripétie principale du voyage, c’est quelques douleurs musculo-squelettiques et peut-être, hmmm, le soir où on a marché plus longtemps que les autres soirs, ou alors le jour où il a plu, je sais pas, franchement c’est d’une intensité assez équivalente dans mes souvenirs.
On se fait donc un peu chier, mais comprenez-moi bien, c’est tout l’intérêt en fait de marcher. Moi j’adore ça. Prendre le temps. Que le problème principal du jour, ça soit est-ce qu’on aura encore des lentilles vertes et du pinard au dîner, ou est-ce que ça sera autre chose (quel suspense incroyable :D) Ca ne me gêne absolument pas de marcher en observant chaque brin d’herbe, chaque fleur, chaque pierre moussue comme si c’était une merveille incomparable et unique, parce que de toute manière je peux pas m’en empêcher et que je trouve ça vraiment merveilleux en fait. De passer des heures à regarder l’évolution des nuages dans le ciel, et le changement de la lumière le matin qui passe de rose-doré à blanc. Et c’est dans tout ce vide, dans tout ce temps passé tout simplement à faire quelque chose d’agréable, marcher sous le soleil, en bonne compagnie, être dans la nature, être tout simplement (et être, c’est agréable), c’est dans toute cette profusion de temps passé à ne pas faire grand-chose et en tout cas rien d’intellectuel, que l’esprit trouve un souffle et son envol.
Parce qu’il faut un état d’esprit assez disponible pour pouvoir se prendre la tête sur sa propre vie. Il faut bien se faire chier pour ne rien trouver de mieux à faire que de prendre des décisions qui vont emmerder plein de gens. Dans la vie, c’est facile de trouver plus agréable, plus utile ou plus distrayante occupation que de réfléchir à soi, et de mettre de l’ordre dans ses affaires. Moi, dans ma vie de polyamoureuse un peu hyperactive, je vous assure que pour me poser un moment et vraiment réfléchir, me prendre la tête comme ça, il faut que je pose des jours de congé en marquant en gros dessus « RIEN ».
Mais si je fais rien, je le fais chez moi, alors ça ne marche pas pour le reste vu que ça nécessite de partir, voilà, vous avez bien suivi je suis contente.
Marcher sur les chemins de Compostelle, c’est une aventure autant dans le monde qu’à l’intérieur de soi. C’est très méditatif. C’est certainement pas pour tout le monde. Mais je me demande ce que ça ferait chez vous.
Est-ce que vous imaginez?