Elle était longue cette année, hein?
Nana
J’ai quitté ma ville pour Tokyo à l’âge de vingt ans, alors demain, ça fera pile un an
Il s’est passé tellement de trucs en un an, ç’a été une année bien chargée
J’ai vécu plein de choses désagréables, mais au final, je me suis bien amusée
Début mars, ça fait donc un an que le covid a débarqué. Je me rappelle, j’avais envie d’en parler avec toi, ce genre d’évènement, comme les attentats, et les grandes catastrophes naturelles, je crois que ça te faisait vibrer comme moi, je ne sais pas pourquoi. Quelque chose de cosmique peut-être, de spécial en tout cas. Mon réflexe était de me tourner vers toi, alors que ça faisait déjà quelques mois que tu avais coupé les ponts.
Je venais de faire mon dernier voyage avant la fin du monde, à Barcelone début mars. J’avais hésité à partir, pas sûre de pouvoir revenir, j’entendais une rumeur sourde parler d’un risque pandémique et je savais que je risquais de rester coincée là-bas. Mais il fallait pourtant que j’y aille, pour ne pas devenir folle en pensant toute la journée à cet amoureux qui était en train de soupeser la valeur de notre relation et de si on pourrait se retrouver. Il fallait que je voie le soleil. Que je sente le sable et la mer autour de mes orteils. Que je puisse sourire au lieu de pleurer, pour changer. C’était un bol d’air, un souffle, une respiration. Et c’est vrai, j’ai bien cru que je ne pourrais pas revenir, les aéroports étaient bloqués par une grève, j’étais malade, et puis comme d’habitude tout s’est bien passé. L’univers me fait des fleurs quand ça va vraiment pas. Je me mets quelque part en PLS, un pied devant l’autre en mode autopilote et pouf, me voilà rentrée, et mon amour revenu. C’était bien la peine.
Mais oui je sais que c’était bien la peine. Ce n’était pas mon histoire, cette fois. Mon histoire, c’est celle que j’écris depuis toujours, que j’arpente parfois avec peine, souvent avec bonheur, celle dans laquelle je n’écris rien quand ça va pas, et où tout ce que j’écris parle d’amour et de jolies choses et de rêves. Il y a un an, je voulais écrire dedans des voyages, des rencontres. J’étais dans une dynamique d’exploration, j’avais envie de découvrir le monde, de comprendre les gens, de bourlinguer, de m’autonomiser, de sortir, de bouger, de vivre et de partager. Et puis boum, confinement. Les voyages et les rencontres, c’est plus vraiment possible. J’ai été un peu à l’aventure cet été, au début de l’automne, entre deux confinements / couvre-feux, mais même là c’était difficile d’aller vers les autres, de s’ouvrir et de se toucher. De partager nos histoires, alors qu’on ne sait pas si on pourra se voir. De faire des projets qu’il faudra sûrement défaire au gré des annonces gouvernementales.
J’étais aussi dans une dynamique encore nouvelle pour moi de culture, de regarder seule ces films et ces séries que j’avais toujours voulu voir mais que personne ne voulait voir avec moi, de lire ces livres que j’avais empruntés il y a des années et jamais pris le temps d’ouvrir. Alors j’ai parcouru le monde quand même, j’ai été voir des amis plutôt que des inconnus, et j’ai été chercher l’inconnu dans des films, dans des livres. J’ai compris plein de choses, je crois, sans quitter ma chaise, sans sortir de mon salon. Réduction de l’empreinte carbone pour sûr, bon par contre, c’est peut-être un peu romancé. Mais les paysages sont là, tout en couleurs éclatantes dans mon petit écran. Les personnages ont des relations super chouettes dans les bons films. Ils évoluent, ils s’améliorent, ils apprennent, ils font des erreurs, et moi je me marre. Et le temps file, les semaines et les mois défilent, c’est fou parce que ça ne passe pas vraiment vite, pas comme quand on fait plein de choses, mais rétrospectivement le temps file, les années défilent, le temps n’existe plus vraiment.
Ces temps-ci j’ai envie d’une tempête, j’ai envie qu’il se passe quelque chose, que le ciel se déchire, que le vent meugle dans le toit, que la pluie et la grêle crépitent toute la nuit. Que je voie le temps passer, le temps d’une journée, d’une nuit. C’est le printemps, j’ai envie d’aller crier dans les bois, alors que je me réveille de la léthargie de l’hiver. Je vais prendre le soleil dès qu’on le voit, et j’ai toujours des courbatures à chaque fois que je fais du cheval. Comment elle est ma vie, maintenant? Un peu à la dérive, un peu jolie, un peu ridicule, très humaine. Pleine, riche. Douce, mélancolique. Forte, vivante.
Et vous, elle est comment, votre vie?