Des milliards de cheveux

Je me brosse les cheveux devant un miroir. Tous les matins, depuis aussi longtemps que je peux me souvenir, les mêmes gestes. Parfois quand je fais du camping il n’y a pas de glace. Mais s’il n’y a pas de brosse à cheveux, une sans picots, ce n’est pas un bon matin pour moi. C’est mon rituel, réveiller mon cuir chevelu en le massant et complètement démêler mes cheveux, c’est mon maquillage du matin, c’est tout ce qu’il me faut.

Ces cheveux, c’est bizarre. Beaucoup de gens m’ont posé la question. Depuis combien de temps je les laisse pousser. Est-ce que je les coupe ou comment je les entretiens. Ils sont longs, mais pas si longs que ça. Je ne coupe plus les pointes depuis que je me suis rendu compte qu’ils étaient moins longs quand je le faisais. Je n’ai jamais été chez le coiffeur. Je ne leur fais pas grand chose vraiment. Un shampoing de temps en temps. Pas de sèche cheveux. Je les brosse tous les matins. Voilà.

Mais je réponds toujours la même chose quand on me pose la question. Jamais je ne les couperais. Je ne sais pas pourquoi. C’est évident, c’est comme ça. Parfois après avoir lu un bouquin je me dis voilà, c’est pour ça, c’est parce que les cheveux longs je les associe au pouvoir, mais je pense que c’est simplement que je ne me vois que comme ça. Immuable, quelque part.

Ce soir je me brossais les cheveux devant le miroir. Je me voyais me brosser les cheveux dans un autre miroir, dans la salle de bain chez mes parents, quand j’avais 17 ans. Les mêmes gestes. J’ai une photo de ce moment. J’ai combien déjà ? 35 ans. 17 ans. J’ai sûrement beaucoup changé. J’ai vécu quelques trucs, c’est sûr. Mais j’ai l’impression que je n’ai pas du tout changé. Cette fille dans le miroir, elle, moi. Physiquement, pas tellement changé non plus. Enfin, je suis plus belle, je trouve.

Ça doit être le moment où je parle à cette fille de 17 ans, cette apparition. Quel cliché ! On ne s’en est pas trop mal tiré, t’en fais pas. Ça va être mouvementé, mais ça va être bien, et plein d’amour, c’est tout ce qui compte à 35 ans, dirait-on. Avoir des gens qu’on peut appeler famille, et des amis il n’y en a jamais trop. Et des cheveux. Voilà, avec ça, ça devrait aller.

Je me demande quelles remarques débiles je serai en train de me faire dans 17 ans en me brossant les cheveux devant un miroir. Si les miroirs existent encore. Et mes cheveux… Croisons les doigts.

Sans un mot

Bande musicale : Quietly de Guano Apes

Notre première danse a eu lieu sans un mot.

Oh, il y a eu du bavardage, et de la musique avec des paroles quand on dansait. On s’était déjà parlé, un peu, et on s’est parlé après, beaucoup. Mais je me rappelle surtout du silence.

Une séance de shibari, c’est un peu particulier comme contexte de rencontre. Et ça aurait simplement pu être juste ça, une construction à base d’humain et de cordes, une démarche esthétique, sportive, ludique, c’est déjà beaucoup. C’était juste ça. Le rock, le tango, c’était exactement ça, on a beau se retrouver souriants et le souffle court à la fin, c’est ça quand on fait du sport et qu’on s’amuse.

Et puis après, on a ralenti. Tu me guidais dans la danse, tu m’as guidée aussi dans les cordes. Tes gestes étaient doux, légers, respectueux. En confiance, je me suis laissée aller. Il y avait de la musique, un mix de bandes originales de films, des musiques douces, mes préférées et les tiennes je crois. Mais dans mes souvenirs, tout est silencieux. J’entends ton corps qui se déplace autour de moi, ton souffle près de moi. Comme je ne voyais rien, c’est un peu comme si mes sens avaient compensé dans mes souvenirs, et avaient réécrit une autre histoire.

Le bandeau sur les yeux, ça m’a fait flipper un peu. J’ai repoussé sans difficulté les images dans ma tête qui me suggéraient de me libérer ou d’avoir mon téléphone à portée de main pour appeler au secours si besoin. Il y a eu quelques mots, des mots sans importance je pense, pour dire que ça pinçait ici, ou que je pouvais m’appuyer là, plier le bras comme ça, pour demander si ça allait bien, si tu pouvais me gratter l’œil. Je me rappelle du son de ta voix. Je ne me rappelle plus si j’ai demandé à boire de l’eau. A un moment j’en avais envie. Tout s’est un peu fondu dans mes souvenirs. J’étais juste bien.

A un moment je me suis retrouvée lovée dans tes bras. Je ne voyais ni tes yeux, ni quoi que ce soit, j’étais encordée de partout, ou peut-être que tu venais de tout enlever, je ne sais plus. Je ne sais même pas pourquoi je me suis retrouvée lovée dans tes bras. Sans bouger, sans un mot, j’étais juste bien là.

Quand je suis partie de chez toi, je me rappelais de la chaleur de tes bras, bien mieux que des traits de ton visage. Cette chaleur qui reste et qui m’enveloppe à chaque fois que j’évoque ces souvenirs. J’évite encore de mettre des mots dessus, ce n’est pas le moment. Et puis il n’y a pas besoin de mots pour ça.

Le choix

Bonjour chers lecteurs, vous allez bien? Tant mieux.

Avant de commencer, sachez que l’histoire que je m’apprête à vous conter va vous emmener là ou vous n’auriez peut-être pas osé vous aventurer. Il est encore tant de renoncer, mais n’oubliez pas, même la chaleur brûlante d’une flamme peut se révéler agréable….

Tout commença par une banale journée d’août. Comme à mon habitude, je me gare, lance mon sac sur mon épaule et joue avec mes clefs dans ma poche, il fait déjà chaud.

Rituel quotidien de passer dire bonjour aux collègues, amis pour certains, étonnement de l’absence de celle en face de qui je m’arrête pour discuter. 

La matinée passe et ma collègue apparaît pendant la pause, bureau vide… 

Non cher lecteur, je ne vais pas vous dire que je l’ai prise sauvagement sur mon bureau, sous l’adrénaline de l’interdit. Vous vous doutez que cela serait bien trop banal…

“Hello!, j’ai écouté un peu le podcast dont tu m’as parlé, c’est cool, d’où tu sors ça?” me dit-elle toute curieuse. 

“Et bien, je fais du shibari” répondis-je le plus naturellement du monde.

Naturellement, c’est le mot. J’ai remarqué que plus une chose est abordée de manière décontractée et naturelle, mieux elle est acceptée. 

Pour ceux d’entre vous qui ne sauraient pas de quoi je parle, patience, vous aurez vos réponses.

Quelques semaines et plusieurs milliers de lignes de discussion plus tard, après avoir franchi la barrière du personnel avec mon amie, je lui partageais l’envie d’essayer le shibari avec une nouvelle partenaire, permettant à ma chérie de prendre la place de photographe et non de modèle. Il n’a pas fallu une semaine pour que celle-ci revienne avec le projet de me présenter une de ses amies. 

Rencontre autour d’un verre dans un bar à l’ambiance tamisée. Je découvre à notre arrivée un petit bout de femme, brune, longue chevelure et sourire accueillant. La soirée se passe, le sujet principal de notre rencontre n’est que peu abordé, mais l’échange est agréable et les contacts sont échangés.

“Je suis là dans 15min!” 

Les meubles sont poussés, la pièce est libre, la musique est en place… Ce n’est pas la 1ère femme que j’aurai dans mes cordes, pourtant la trac est toujours là.

“Vais-je lui faire passer un bon moment? Va-t-elle apprécier? Vais-je être maladroit et la mettre mal à l’aise? Va-t-elle oser me dire si cela ne va pas? » Autant de questions qui me traversaient l’esprit jusqu’à entendre l’interphone sonner. 

Quelques mots échangés, quelques pas de danse, le temps de s’apprivoiser, après tout nous sommes encore des inconnus l’un pour l’autre, et la partie commence…

Une première corde remplace ma main autour de son poignet, le stress disparaît lentement, je reste précautionneux, les premiers tours de cordes sont là telle une introduction, pour elle comme pour moi, une façon de se dire qu’on peut avoir confiance l’un en l’autre, de la rassurer. Mais c’est aussi une attache plus libre, peu de technique, plus de jeu. Une main dans le dos, l’autre enroulée autour de son ventre, puis les 2 dans le dos, autour de sa poitrine, sur ses épaules, sur son ventre… Je l’accompagne doucement au sol, et comprends que j’ai le droit d’être plus intense dans mes mouvements, plus serré dans mes liens, plus charnel aussi quand je la serre contre moi. Attacher un corps reste relativement accessible, très technique, attacher l’esprit est beaucoup plus difficile…

Après l’usage des mains, c’est celui de la vue qui sera enlevé. Sans la vue, l’imaginaire s’ajoute au réel pour créer de délicieuses sensations. 

Bientôt tout son corps se retrouve prisonnier ; quelques ajustements, une main qui s’endort à libérer, mes doigts qui passent sur ses épaules, son dos, contre ses doigts, sorte de dialogue muet pour s’assurer que tout va bien.

La détache est une phase tout aussi importante, elle permet de faire remonter son partenaire doucement à la surface. Les cordes laissent placent aux bras, puis à la liberté retrouvée. Le bandeau se lève, rétablissant le contact visuel. Dernières caresses sur les passages de cordes, retour à la réalité.

“Merci” me dit-elle avant de disparaître dans la pénombre du couloir…

Je n’avais jamais eu l’occasion de partager une véritable session de cordes avec une partenaire qui n’était ni ma copine, ni une potentielle relation amoureuse. C’était différent, surprenant, tendre, comme de danser pour la 1ère fois avec une inconnue et que celle-ci parle le même langage.

Je la reverrai avec plaisir, autour des cordes, autour d’un verre, ou quoi que ce soit d’autre, cette rencontre ne sera pas la dernière.

Le choix, celui de tourner à gauche et non à droite, de sortir ou de rester chez soi, d’aborder un sujet ou non avec une collègue, ce choix qui peut changer nos vies, nous faire rencontrer des personnes inattendues, vivre des moments uniques, ce choix que l’on croit avoir parce que nous décidons de faire les choses. Mais après tout, on pourrait se demander si toutes ces choses ne seraient pas arrivées quoi qu’on ait fait, si malgré cette apparence de libre arbitre il y a des points fixes de notre vie par lesquels il faudra passer. Quelle que puisse être la réponse, je suis heureux de la vie vers laquelle mes choix m’ont menés, et j’ai hâte d’en découvrir la suite… 

Voilà chers lecteurs, ce récit touche à sa fin, mais l’histoire contée continue de s’écrire, à bientôt…

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