Foire aux réponses sans questions

Voici une petite foire de réponses que j’ai faites ou aurais aimé faire à des choses que j’ai vues ou entendues ces dernières années. C’est un peu en vrac 😁
Vous aviez peut-être pas de questions, mais moi j’ai des réponses 😀

« Il a peur que je me perde dans toutes ces relations. »
=> Je pense que se perdre est toujours un risque quel que soit le contexte, et cela peut arriver dans une relation monogame comme dans des styles de relations ouvertes, ou à des célibataires (comprendre, c’est déjà arrivé). Donc c’est une inquiétude qui peut se comprendre, indépendamment du contexte.
A mon sens chacun est responsable de son propre bonheur, mais aussi de s’assurer de ne pas se perdre, et ce en tout temps. Donc la seule réponse, c’est qu’il faut faire confiance à l’autre pour qu’il fasse en sorte de ne pas se perdre. Si l’un n’a pas confiance en l’autre pour ça, c’est une bonne discussion à avoir.

« Faut pas s’attacher trop vite, ça fait fuir les gens. »
Sur le même thème : « Je me demande si mon comportement fait flipper. »
=> Dans nos relations avec les autres, que ce soit au début ou n’importe quand, il faut surtout être fidèle à soi même et à ses valeurs, et se comporter en accord avec ce qu’on ressent. Moi ce qui me fait fuir, c’est les gens qui essaient d’adapter leur comportement à ce qu’ils imaginent qui va me plaire ou pas. La plupart du temps, ils ont quand même du mal à deviner ce que je pense, du coup ils se plantent et c’est plutôt contre-productif. En plus si tu me plais, ça serait quand même mieux que ça soit pour ce que tu es, plutôt que pour une image que tu essaies de projeter mais qui n’est pas toi. Et puis adopter certains comportements pour plaire, ça reste de la manipulation hein. Moi je n’aime pas me sentir manipulée.
Par contre c’est vrai que dans un couple, il y a souvent une personne qui s’attache plus vite que l’autre. Qui aime plus que l’autre. Qui désire plus que l’autre. D’ailleurs ça peut changer ou s’inverser dans le temps. En fait ça serait même un sacré hasard, que nos émotions, sensations et sentiments suivent les mêmes variations au même moment, les mêmes évolutions dans le temps, au même rythme. Le fait est que ça peut faire peur quand on s’attache vite, ou quand on ne s’attache pas vite, ou quand on sent que l’autre s’attache plus ou moins vite que soi. Plutôt que de fuir, ça serait bien qu’on en parle, qu’on se rassure, qu’on se dise que c’est OK, et que ça ne pose aucune sorte de problème en réalité.
Parce que si ta parole est bienveillante, et que tu fais attention à l’autre, tu as le droit d’être intense, de te prendre la tête par moments, d’avoir besoin d’explications ou d’être rassurée, de t’exprimer, de ressentir et d’avoir des doutes, de faire flipper ; et ça ne fera pas fuir quelqu’un qui t’apprécie pour ce que tu es.
Le principal danger si tu essaies trop de plaire à quelqu’un, c’est justement que tu te perdes. Que tu perdes ce que tu es.

« Mon mec est jaloux, lui aussi il voudrait avoir plus de gens autour de lui. »
=> S’il est jaloux de ce que tu as, il doit commencer à se rendre compte qu’il aimerait ça pour lui aussi. Bonne nouvelle! Il ne tient qu’à lui de mieux s’entourer. Et ça n’a rien à voir avec toi.

« C’est quoi la différence entre faire la cour et harceler? »
=> Pour moi c’est une affaire de consentement. Pour une même dose de petits messages ou intentions, si la personne que tu entreprends est consentante on appelle ça faire la cour, et si ça la soule c’est du harcèlement.
Comme d’habitude avec le consentement, je rappelle quelques petites règles à respecter :
Si la personne ne répond pas, ben elle ne consent pas.
Si elle dort, ben elle ne peut pas consentir non plus.
Et si elle te dit que tu la soules, et que tu n’arrêtes pas, ben c’est du harcèlement.

« Les coups de cœur c’est nul. »
=> Mais non, les coups de cœur c’est bien… le temps que ça dure. Les bonnes choses ne sont pas éternelles. On en reparlera au prochain coup de cœur si tu veux.

« Mon amoureux est injoignable, c’est insupportable, je pense à rompre. »
=> C’est une bonne occasion pour se demander pourquoi tu es tout à coup aussi dépendante d’une personne (autre que toi-même) pour ton propre bonheur. Peut-être es-tu dans une mauvaise passe en ce moment? Si tu as besoin de soutien ou d’aide, et qu’une personne précise est injoignable, alors des amis, de la famille ou des professionnels peuvent sûrement t’aider. Le mieux serait que tu retrouves une auto-suffisance dans ton bonheur, bien sûr, à plus ou moins long terme.

« Je vais attendre un peu pour discuter de certaines choses, pour ne pas ajouter à ta charge mentale. »
=> C’est pas à toi de gérer ma charge mentale, et je suis capable de te dire si on doit reparler de certaines choses plus tard. D’ailleurs si c’est moi qui initie le sujet, a priori je suis capable d’en parler maintenant. Par contre si pour toi ce n’est pas un bon moment pour en parler, tu peux me le dire, et ça sera OK.

« Ne t’inquiète pas, rien ne pourrait t’enlever de ton piédestal. »
=> Au secours! Je ne veux pas être sur un piédestal, enlève-moi de là. Je suis une personne normale, et j’estime avoir le droit d’être considérée comme telle. Ce que tu projettes sur moi, tes désirs et tes fantasmes, comprends bien que je ne partage pas forcément les mêmes. Plutôt que de m’idéaliser, apprends à me respecter, vois mes silences, et observe la distance entre nous.

« J’ai essayé de gruger et ça n’a pas marché, ça m’énerve, en plus j’étais presque pas en retard pour une fois, et franchement c’est abusé de respecter aussi bêtement les règles, et gnagnagna. »
Autre version possible : « Ahlala mon billet d’avion est annulé, mon éditeur m’a claqué dans les pattes, ils font totalement exprès pour m’embêter, mon conjoint m’a agressé et je suis furax, et j’ai plein de choses à dire sur cette personne que tu ne connais absolument pas ».
=> Je n’ai rien fait pour susciter ton énervement, et je n’ai pas demandé à me faire assommer de remarques délirantes de mauvaise foi et sans rapport avec notre relation. Si tu es incapable de reconnaître tes propres torts, intolérant vis à vis des autres, et que tes émotions négatives débordent comme ça, je te propose de te défouler sur autre chose que sur moi. Je ne suis pas forcément contre ce genre de discussion, mais demande-toi d’abord si ça m’intéresse de près ou de loin, et demande-moi aussi d’abord dans quel état je suis, et si tu peux ventiler tes émotions avec moi. En tout cas si tu le fais, j’apprécierais un minimum d’intelligence et de pertinence dans tes remarques.

« Ah bon, tu es triste parce qu’il a rompu? Bon, c’est le risque quand on pratique le polyamour… »
=> Bah non, c’est le risque quand on sort avec quelqu’un tout bêtement. Quand on s’attache à quelqu’un, on prend le risque d’être peiné si on rompt un jour. Il en va des relations exclusives comme des relations ouvertes, et les couples monogames ne sont pas à l’abri des ruptures.
Par contre c’est vrai que moi, si je perds quelqu’un, je ne perds pas tout, potentiellement. Mais ça n’empêche pas d’être triste, et d’avoir besoin de soutien lors des ruptures. Soyez gentils avec les gens qui aiment.

« Nous ne jugeons pas, mais nous ne voulons pas donner l’impression d’approuver ce que vous faites. »
Et une variante : « Nous ne te rejetons pas, mais tu n’es pas invitée. »
=> Oui donc vous jugez, et vous me rejetez, sous des airs de ne pas vouloir y toucher. Était-ce vraiment nécessaire de me transmettre ce genre de message faux, hypocrite ou juste mal écrit, ou s’agit-il de cruauté à ce stade? Enfin, cela permet au moins de clarifier l’état de nos relations futures, qui seront inexistantes.

« Quand tu multiplies les relations, tu as moins d’amour pour chacun. »
=> Ce n’est pas mon expérience, pour ce que cela vaut. Pas ce que je ressens. Au contraire, je ressens que j’ai plus d’amour à donner à chacun, plus de tolérance aussi. L’amour ce n’est pas une tarte aux pommes en fait. Par contre je pense que cette idée reçue provient d’une crainte d’un monogame qui imagine qu’en étant en relation avec un polyamoureux, il recevrait moins d’amour que s’il était en relation avec un monogame. Je dirais simplement que la disponibilité émotionnelle d’une personne tient à beaucoup de facteurs. Ne pas avoir d’autre relation peut aider, éventuellement. Bien dormir la nuit aide davantage, de mon expérience. Et si vous avez besoin d’être rassuré ou de vous sentir aimé, être le seul pour l’autre ne fera pas spécialement le job. Recevoir l’amour qu’il ou elle donne, beaucoup plus.

Harcèlement

“Un peu de pression, un peu de tension, et peut-être même un peu de torture, et vous vous retrouvez soudain avec une solide armure, capable de résister à n’importe quelle épreuve.”

La forge des épreuves

Un soir en ville, je rentre à la maison en métro, il est minuit.
« Hé madame! »
Ah, le classique… Pas méchant, enfin de mon expérience, ceux qui agressent physiquement ne commencent pas par me héler. Je crains moins les agressions verbales, et puis j’ai l’habitude…
L’habitude du mec un peu lourd qui m’apostrophe alors qu’on ne se connait ni d’Eve ni d’Adam, de me faire siffler, saluer plus ou moins poliment, parfois même élégamment, mais toujours sans l’avoir souhaité. C’est triste, ce genre d’habitude. Je suis jolie, j’ai mis une jupe, mais généralement il suffit que je sois une femme pour qu’on m’emmerde. Mes amis masculins barbus que les gens prennent parfois pour des femmes dans la rue ont eu l’occasion de faire la même expérience, l’expérience du harcèlement de rue sans aucune raison autre que le genre. On ne devrait pas avoir l’habitude. Il y a trop de films où ça arrive. C’est banal, mais ça ne l’est pas. Quand on salue quelqu’un, on dit « Bonjour », pas « Hé madame ». Est-ce qu’on salue les hommes aussi aléatoirement et sans raison?

Derrière le mec un peu lourd, il y a un groupe de potes qui squatte devant un parc. Je sais pas trop s’ils se connaissent, mais je commence à me sentir mal à l’aise, dans un environnement hostile, avec trop de gens qui potentiellement pourraient m’emmerder, je force le pas, je baisse les yeux et je fonce.
Ce dont je n’avais pas l’habitude, c’est cette femme qui fait partie du groupe de squatteurs :
« Ah non mais je suis pas d’accord là! La femme qui rentre chez elle, tu la laisses tranquille! »

❤ ❤ ❤
Toi, toi! On ne se connait pas, mais je t’aime. Je t’aurais embrassée. Tu m’as fait sourire, et même rire un peu tellement j’étais ravie de cette répartie. Je me suis quand même barrée, mais ce n’était plus du tout la même ambiance, dans cette rue, ce soir-là : il y avait des âmes. Ce genre d’événement, ça met la patate!
Je suis arrivée à la station de métro encore toute souriante, je volais sur un petit nuage, et il y avait de la musique, un air de jazz. J’ai dansé un moment toute seule, sur le quai, ma petite danse de la victoire, un mix de salsa et de tango. Je me demande s’il y avait des gens derrière la caméra de sécurité du métro ce soir-là. J’étais seule sur le quai, mais j’étais avec tout un tas de femmes qui riaient avec moi, de tous les âges et de toutes les époques.

Je comprends pas le harcèlement de rue. J’aime bien regarder les gens dans les yeux, parfois même dire bonjour de façon totalement gratuite, comme on dit bonjour à ses voisins, quand on travaille dans la même boîte, quand on se balade dans la même ville ou qu’on habite la même planète. Mais pas « Hé madame ». C’est quoi cette apostrophe? Qu’est-ce que tu veux répondre à ça, mis à part « Vas-y tocard dégage »? Ca peut pas marcher. C’est pas possible, c’est pas pour parler : c’est juste pour faire chier. C’est pour ça que c’est une agression, le harcèlement de rue. Agresser des gens au hasard, parce qu’ils peuvent, je suppose, parce que personne ne proteste, parce que c’est trop nul pour qu’on y accorde ne serait-ce qu’une once d’attention. Un truc pour passer le temps, ils n’ont vraiment rien de mieux à faire? Je comprends pas.

Je me demande si c’étaient les mêmes lascards / tocards, ceux qui faisaient chier quand on était gamins, les « intimidateurs » de cour de récré.
Je n’ai pas l’impression d’avoir trop subi ça, pourtant on m’a affublée de plein de surnoms plus ou moins pourris, j’étais souvent en tête de classe, on a dû globalement me faire chier. Je me battais en primaire, dans la cour de récré, l’institutrice qui ne s’en mêlait généralement pas m’avait simplement demandé de ne pas viser entre les jambes des garçons. J’étais pas mal renfermée, je me mettais moi-même à l’écart des groupes et je ne sociabilisais pas. Je les trouvais souvent stupides ces gosses, et leurs moqueries, leurs chamailleries, c’était le summum de la connerie. Après, ils pouvaient toujours me traiter de tous les noms, je savais ce que je valais, j’avais mes notes, elles étaient bonnes, pas les leurs. Je n’avais pas envie d’aller aux fêtes d’anniversaire, et on ne m’y a pas forcée.
Moi encore, ce n’était pas grand-chose. La petite fille qui s’appelait Gwenaëlle dans la classe, et qui était vraiment gentille et douce, je l’aimais bien parce qu’elle ne me faisait pas chier, mais les autres avaient trouvé très amusant de la traiter de « gouine » à tout bout de champ. C’était facile, ils l’appelaient comme ça tout le temps, ça ressemblait à son prénom, elle était gentille, il n’en fallait pas plus. Et la petite africaine de notre classe, qui galérait un peu en cours, elle était gentille aussi mais quand on la faisait chier, elle se défendait. Ils ne se sont quand même jamais lassés de la mépriser. Elles ont dû en baver, et rapidement elles ont disparu de la circulation. J’avais l’impression qu’elles avaient été déscolarisées. Elles avaient l’air de venir de milieux sociaux défavorisés. Ca n’a pas dû aider, peut-être même faire d’elles des cibles pour les tyrans de l’école.

Au collège, on m’a affublée de toute une vie extra-scolaire et extra-terrestre, que j’ai plus ou moins repris à mon compte pour en faire ma légende. Sur mes photos de classe, mes camarades n’ont quand même pas laissé de mots très tendres. Jusqu’à la fin du lycée, je n’allais pas aux événements sociaux. Des garçons qui se disaient mes amis m’avaient surnommée « moustache ». Les seuls amis que j’appréciais vraiment, ils ne m’ont jamais appelée comme ça. D’ailleurs c’est peut-être parce qu’ils ne l’ont pas fait que je les appréciais. Et les autres…
Certains optent pour une réponse verbale ou physique sèche ou forte, une carapace ou une attitude intimidante, pour garder les autres à distance et imposer leurs limites. Un coup de boule peut aussi apporter des ennuis à court terme mais imposer le respect à plus long terme. Personnellement, j’ai cultivé l’art de me foutre de ce que les autres pensaient de moi, et je l’ai élevé au rang d’art. Tous les enfants, tous les adultes qui ont été à l’école sont passés par là je pense, et sont devenus soit étanches aux opinions des autres, soit dépressifs, je ne vois pas d’autre possibilité.

Et ça n’aide pas quand on est enfant, de voir les adultes démunis, qui ne savent absolument pas quoi faire pour aider leurs gosses, et le plus souvent choisissent d’ignorer le problème, ou de le minimiser, en attendant que ça passe. Mais il faut quand même réaliser que ça ne passe jamais, que les enfants deviennent adultes et qu’il y en a toujours qui se font emmerder, des femmes dans la rue, ou n’importe quelle personne qui sort un peu de la norme sociale, n’importe quelle tête qui dépasse. On dirait une dynamique de groupe pour contrôler les électrons libres.

Maintenant, on a le droit à une scolarité sans harcèlement, c’est quand même bon de le savoir. Les écoles ont le devoir de la fournir, du coup, cette scolarité sans harcèlement. Et on a le droit de se plaindre et d’être entendu si ce n’est pas le cas. Ce n’est pas que les écoles, c’est tous les adultes, parents, alliés, qui ont leur part de responsabilité, et leur rôle à jouer. Leur rôle d’autorité, mais avant tout d’écoute et de compréhension. On ne dit pas que « c’est rien », « ignore-les, ça va passer… » C’est faux! C’est quelque chose, c’est grave, les enfants en souffrent, et ça ne passe pas.
Un enfant qui est harcelé n’a pas à continuer à subir jusqu’à exploser. Le meilleur conseil qu’on puisse donner serait peut-être plutôt d’admettre qu’il y a une différence, chaque enfant étant unique, ce sont ces différences qui sont ciblées par les intimidateurs. Il s’agirait peut-être de reconnaître la réalité des réactions et du harcèlement qui a lieu, d’accepter ses différences, et de se faire accepter avec cette différence. En tout cas trouver d’autres stratégies plutôt qu’endurer le harcèlement, qui est en soi inacceptable.

Et vous, vous avez déjà été harcelé?

Le déconfinement des seins

Tout comme le confinement, le déconfinement en mai dernier a été une période fort intéressante. On a doucement repris l’habitude de sortir de chez nous, de voir des amis, au début ça faisait bizarre. Et puis il y a des habitudes qu’on a essayé de ne pas reprendre, aussi. En tout cas on y est plus attentif qu’avant. Ca serait chouette, de continuer à faire attention à la planète, et à nous. De garder du télétravail là où on peut en avoir. De poursuivre les apéros virtuels avec la famille ou les amis qu’on ne voit pas souvent, de sauvegarder le lien social, et de continuer à préserver la santé des autres.

Au déconfinement, la première chose que j’ai faite, c’est aller me faire tatouer. J’ai déjà parlé de cette séance de tatouage ici, mais je n’avais pas parlé d’une conséquence imprévue de ce tatouage : je me suis fait tatouer le dos, et pendant la cicatrisation, il était hors de question que je porte un soutien-gorge. Alors je n’en ai pas porté. Je m’inquiétais un peu à cette idée. J’avais tellement l’habitude d’en porter! Tous les jours, tout le temps, depuis que j’étais adolescente. C’était un équipement de base pour moi, aussi systématique qu’une culotte. Les deux allaient ensemble d’ailleurs, et visuellement, ça me choque encore de me voir en culotte et sans soutien-gorge.

Et puis il y avait plein de questions derrière. Le regard des gens tout d’abord, qu’est-ce qu’ils risquaient de penser? De mes seins en forme de poire, qui tombent, en fait, ce que le soutien-gorge cachait habilement jusque là? Et si jamais mes tétons pointaient? Bon, étant encore la plupart du temps en télétravail, j’ai relativisé. Et puis je connaissais quelques femmes de mon entourage qui se passaient à l’occasion ou très largement de cet accessoire. L’une d’elles avait une poitrine plus opulente que la mienne, et elle m’avait dit que ça ne lui faisait pas spécialement mal au dos, qu’il ne se passait en fait rien de spécial quand elle ne mettait pas de soutien-gorge. Mais elle évitait quand même de le faire au travail, question d’image, de crédibilité dans un milieu assez masculin. Et je me demandais comment ça serait pour moi. J’avais l’impression d’avoir déjà eu mal au dos quand je ne mettais pas de soutien-gorge (ça m’était arrivé quelques fois, quand je portais un vêtement avec une sorte de coque de poitrine intégrée, qui évitait au moins que les tétons pointent de manière visible). Est-ce que le mal de dos était lié de quelque façon à l’absence de soutien-gorge, ou est-ce que j’avais dormi dans un autre lit que le mien ou dans une mauvaise position, ou fait beaucoup de voiture ou du sport, ou n’importe quoi d’autre? Aucune idée. Est-ce que mon environnement de travail était plus adapté à l’absence de soutien-gorge que celui de mon amie? Peut-être, mais je n’en étais pas tellement sûre. Et bien qu’il y ait mention dans le règlement intérieur d’une tenue adaptée au travail, pas de shorts pour les hommes, pas de robe de clubbing je suppose pour les femmes, il n’y avait rien concernant les sous-vêtements, et il faut bien dire que c’est un peu normal : a priori mes sous-vêtements ne regardent que moi.

La plupart de mes questions n’avaient qu’une réponse à ce stade : on verra bien, il n’y a pas 36 façons de savoir, il faut essayer. Comme de toute manière je n’allais pas mettre de soutien-gorge serré sur la peau à vif de mon dos, autant me faire à cette idée. J’ai choisi des vêtements assez épais et qui n’attiraient pas trop l’œil ; au début de toute manière comme mon tatouage dégorgeait de l’encre, je portais mon habituel polo noir en coton à manches courtes. En mai il faisait chaud, je ne pouvais pas beaucoup plus m’habiller. Et si mes tétons pointaient, ben tant pis. Si quelqu’un me faisait une remarque, j’avais l’excuse de mon tatouage, encore emballé dans du cellophane et qui faisait un bruit de sandwich froissé dès que je bougeais. Et je suis allée travailler comme ça.

Bon, je vous la fais courte, il ne s’est rien passé. Ni ce jour-là, ni aucun des autres jours depuis. Je ne mets plus de soutien-gorge, et voilà, on s’en fout. J’ai aussi remarqué que d’autres femmes dans le bâtiment n’en mettaient pas. Je n’avais jamais remarqué jusque là. Et c’est cool, et on s’en fout aussi en fait. Peut-être que c’est seulement parfois, ou seulement l’été, je ne sais pas. Moi je n’en mettais pas parce que mon tatouage cicatrisait. Et puis ensuite, je n’en ai pas remis, parce que je voulais montrer mon tatouage dans le dos, et que je ne voulais pas couper l’image en faisant passer une lanière de soutien-gorge en plein milieu. Et puis je me suis habituée à avoir les seins déconfinés. A avoir les tétons qui pointent parfois quand il fait frais. A sentir le tissu bouger contre ma poitrine. A cette impression à la fois d’avoir les seins qui tombent, et à la fois d’une sensualité redécouverte. Je me sens encore un peu nue, sans soutien-gorge, mais j’aime la sensation, en fait. Alors maintenant, je ne mets juste plus de soutien-gorge, tout court. Je sors comme ça, et j’essaie de marcher toujours droite et fière, avec des seins en forme de seins. J’ai encore un soutien-gorge qui traîne dans ma chambre, abandonné sur un tabouret. C’est le dernier que j’ai remis après le déconfinement, je ne l’ai porté qu’un jour ou deux, alors je ne l’ai pas mis au sale, mais je ne l’ai pas non plus reporté. Il traîne comme un pull en laine en plein été, parce qu’il a été porté il n’y a pas si longtemps, quand il faisait frais dans notre grotte, il n’est pas vraiment sale, mais pas propre non plus.

J’ai aussi fait du sport sans soutien-gorge. Du cheval, de la danse. Ca apporte à chaque fois son lot de questionnements, et de sensations. Le mouvement du cheval au trot fait tressauter les seins, évidemment. La présence d’un soutien-gorge ne change pas fondamentalement cet état de fait d’ailleurs. Si quelqu’un a remarqué quelque chose, personne ne m’en a rien dit. Je me suis aussi rendu compte que le soutien-gorge protégeait quand même un peu les seins, et qu’en balade en extérieur, si mon cheval m’emmène dans des ronces, j’ai tendance à protéger la peau fine des seins avec mes bras, du coup. Pour ce qui est de la danse, c’est un sport où on met son corps en scène : ce corps avec ces seins en forme de seins, qu’il faut pouvoir bouger librement sans s’exhiber. Je trouve que pour le coup, c’est plus confortable sans soutien-gorge, avec des vêtements près du corps. Mes seins ont trop tendance à se carapater quand je bouge vraiment, et d’habitude il fallait tout le temps que je remette mon soutien-gorge en place. Une brassière de sport tient mieux en place, malgré tout ça sortait quand même quand je faisais du kung fu. Là, je n’ai plus besoin de toucher à rien, tout tient en place tout seul 🙂 Et si mes tétons pointent, je crois que c’est pas trop grave, on voit aussi un peu ceux de la prof à travers sa brassière de sport sans bretelles « que je sais pas comment ça peut bien tenir ».

Mes seins aiment bien être déconfinés, je me sens bien comme ça. Je pense que ça a un lien avec ma démarche autour de la nudité de ces dernières années, avec la photo de nu artistique dans la nature, les clubs, saunas libertins, camp naturiste où j’ai pu me balader nue au milieu d’inconnus, le body painting nue en forêt, la revendication de mon image, de mon corps, de mon corps nu. Je me suis aussi interrogée sur les raisons pour lesquelles je portais un soutien-gorge jusque là. Ca remonte aux souvenirs d’enfance, à l’école, ce monde qui se veut toujours plus aseptisé (c’est un gros débat en ce moment, sur ce qu’est une tenue décente, et jusqu’où on peut aller dans les interdits vestimentaires et la régence des sous-vêtements de jeunes gens qui ne devraient vraiment pas avoir à s’en soucier davantage que moi quand je vais au travail) ; à l’école, on est en tout cas généralement poussé à faire comme ses camarades, pour s’intégrer. Je me rappelle vaguement de ce prof de sport au collège qui m’avait fait une réflexion dérangeante sur le fait que mes seins commençaient à faire un pli sous mon t-shirt. Harcèlement sexuel, c’est plutôt clair dans ma tête aujourd’hui, mais à l’époque, ça m’avait juste fait rougir comme une pivoine et commencer à mettre des brassières. Ni pour moi, ni pour faire comme les autres (ça n’a jamais été une grande préoccupation pour moi), mais pour que le prof de sport ne me fasse pas de nouvelle remarque à ce sujet. En y repensant, ça me fait hurler intérieurement…

Je me suis aussi baladée sans culotte un peu cet été, pendant la saison des jupes et des robes. Ce n’est pas aussi indispensable qu’il n’y parait. Mais ce n’était pas non plus anodin pour moi. Il y a quelques années, j’ai subi une agression sexuelle, un soir d’été où j’étais sortie seule en ville, en robe, et sans culotte. Mon agresseur s’en était pris à une femme isolée qui rentrait tranquillement chez elle, l’agression avait eu lieu en bas de chez moi, dans un quartier assez calme. Cet évènement a été assez traumatisant et stigmatisant pour moi. Ne pas porter de culotte, ça me fait flipper, même quand je reste juste chez moi, simplement parce que ça me renvoie à cet évènement. Mais je crois que je commence à mettre ça derrière, enfin.

Après c’est joli, la lingerie, je ne dis pas le contraire. Là je ne porte plus de soutien-gorge, mais je ne dis pas que je n’en reporterai pas à un moment. Je trouve que c’est une belle expérience, en tout cas, d’essayer de s’en passer pendant un moment. Pour déconstruire quelques idées préconçues, pour se réapproprier ses seins, son corps. Il y aura toujours des gens qui trouveront ça choquant, de voir des tétons qui pointent (mais pas les seins qui tombent, ça ça va), une femme en jupe courte, un homme en jupe, une femme qui sort avec un décolleté, une femme qui sort sans voile, une femme qui sort voilée.. Heureusement ces personnes ne décident pas comment on a le droit de s’habiller, puisqu’on est encore dans un pays où c’est la liberté de chacun, et où on n’a pas le droit de mal traiter, de violenter, de violer quelqu’un simplement parce qu’il n’est pas habillé comme on voudrait qu’il le soit. Ni de le faire chier, idéalement.

Je voudrais au passage adresser un grand merci, bravo, et tous mes encouragements, aux femmes qui ne portent pas de soutien-gorge, parfois, souvent, tout le temps, à celles qui envisagent de tenter l’expérience, et à toutes les femmes et les hommes qui jouent avec les vêtements et les sous-vêtements genrés, qui participent à déconstruire nos idées préconçues et nos croyances limitantes à ce sujet. L’égalité, la liberté et le respect de tous passe par les vêtements et les sous-vêtements, j’en suis convaincue.

Et vous, quand est-ce que vous déconfinez vos seins?

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