Paumés

« Non mais regarde là, quelqu’un qui ne me connaît pas ne pourra pas me reconnaître! »

Un ami philosophe

Il semblerait qu’on soit tous un peu paumés en ce moment. Et pas que ceux qui ont des problèmes de santé mentale.
Il y en a qui approchent de la trentaine et n’ont toujours pas quitté le domicile parental ou la coloc qu’ils ne supportent plus, qui se tâtent et ont des projets et des petits jobs et sont trop confortables dans cette marge de la société pour en bouger.
Il y en a qui ont échoué dans leurs études, cherchent encore un domaine d’activité qui leur convienne, qui se réorientent parce que le marché du travail est bouché, ou parce qu’ils ont fait un burnout au boulot.
Il y en a qui ont des enfants en bas âge et qui n’existent plus vraiment en tant que personnes, disparus entièrement dans l’abnégation jusqu’à l’épuisement. Un matin, cela n’ira plus, et il faudra qu’ils se retrouvent… Ou se reconstruisent. Est-ce que les personnes qui veulent des enfants existent encore après les avoir eus? Ce ne sont assurément plus les mêmes personnes…
Il y en a qui approchent de la quarantaine ou viennent de la dépasser, qui avaient fait leurs premiers investissements immobiliers, sortent d’une longue relation, ont trouvé un bon truc niveau carrière, tout plein d’accomplissements mais qui sont déjà du passé, et qui cherchent autre chose à faire. De nouveaux projets. Où investir leurs prochaines années, dans quoi, avec qui…
Il y en a qui approchent de la retraite après des décennies de vie de famille, et qui se retrouvent sans job, sans famille, avec devant eux une page blanche et tout à réécrire.

Et qui se demandent, mais au fait, qui je suis? Qu’est-ce que je veux?
Tous ces changements de vie sont des occasions de vérifier où on en est. Il faudrait le faire bien plus souvent, mais bon. Après une relation longue, le moment où on se retrouve seul, c’est là qu’on voit ce qui reste, après tout ce temps à s’organiser ensemble, à faire des compromis, à se laisser parfois porter par l’autre : qu’est-ce qu’il reste de la personne qu’on était avant d’être un couple. Quels amis vont rester au final? Quelles activités est-ce qu’on aime faire seul? Quel genre de vie on veut mener? De quoi est-ce qu’on a envie pour l’avenir? Et quelles étaient nos passions, d’ailleurs?
C’est le moment de se retrouver, et parfois de se réinventer, quand on s’est perdu soi-même dans l’histoire… Cela arrive finalement assez souvent, je crois.

Je ne me sens pas trop paumée dans les changements de ma vie actuelle, ils sont progressifs, et il y a quand même pas mal de choses qui restent, qui me permettent de me stabiliser. Je ne me suis pas perdue, j’ai continué à vouloir des choses pour moi, et je compte bien continuer. Il y a une certaine cohérence, dans mes projets d’hier et d’aujourd’hui, cela fait des années que je deviens plus indépendante et autonome, que je cherche plus de liberté, et c’est vers ça que je vais à présent complètement. Mon job et mon assise financière permettent de voir les changements à venir assez sereinement, même si j’ai une vision assez floue de ce que sera demain. Sans enfants, je sais que je peux vivre de peu, et bien. Monter à cheval, voyager, tester de nouveaux restos, il y a plein de choses que j’ai envie de faire et dont j’ai bien profité depuis que je suis dans la vie active, mais qui peuvent aussi ralentir ou se retrouver en pause si besoin, pour laisser de la place à quoi que ce soit que je décide de faire. Chaque chose en son temps, chaque projet après l’autre. D’abord, je vais prendre le temps de me poser, de me retrouver, et de faire tout ce que je voulais faire dans ma maison. On verra pour la suite…
Je suis peut-être à un tournant dans ma vie, mais je ne vois pas de rupture nette entre la personne que j’ai été jusque là, entre les différentes vies que j’ai vécues, et celle que je prépare pour l’avenir proche. Le contexte va pas mal changer, mais moi, pas tellement. Quand je pense changement de carrière, de région, cela me semble de bien plus grosses transformations. Probablement car c’est ce qui est resté stable ces 14 dernières années, et qui constitue ma nouvelle assise…

Pourtant je pense que j’ai pas mal changé, par petites touches, depuis ces 14 ans que je construis ici. Je ne me sens pas trop abîmée, mais j’ai vécu, intensément, j’ai grandi de ces expériences, et grâce à l’aide de personnes merveilleuses qui m’ont entourée. Certains arrivent tout juste, d’autres sont partis depuis longtemps, mais toutes ces relations étaient exceptionnelles.
A défaut de m’être moi-même perdue, je pense à tous ceux que j’ai perdus.

Ne nous perdons pas trop…

Harcèlement

“Un peu de pression, un peu de tension, et peut-être même un peu de torture, et vous vous retrouvez soudain avec une solide armure, capable de résister à n’importe quelle épreuve.”

La forge des épreuves

Un soir en ville, je rentre à la maison en métro, il est minuit.
« Hé madame! »
Ah, le classique… Pas méchant, enfin de mon expérience, ceux qui agressent physiquement ne commencent pas par me héler. Je crains moins les agressions verbales, et puis j’ai l’habitude…
L’habitude du mec un peu lourd qui m’apostrophe alors qu’on ne se connait ni d’Eve ni d’Adam, de me faire siffler, saluer plus ou moins poliment, parfois même élégamment, mais toujours sans l’avoir souhaité. C’est triste, ce genre d’habitude. Je suis jolie, j’ai mis une jupe, mais généralement il suffit que je sois une femme pour qu’on m’emmerde. Mes amis masculins barbus que les gens prennent parfois pour des femmes dans la rue ont eu l’occasion de faire la même expérience, l’expérience du harcèlement de rue sans aucune raison autre que le genre. On ne devrait pas avoir l’habitude. Il y a trop de films où ça arrive. C’est banal, mais ça ne l’est pas. Quand on salue quelqu’un, on dit « Bonjour », pas « Hé madame ». Est-ce qu’on salue les hommes aussi aléatoirement et sans raison?

Derrière le mec un peu lourd, il y a un groupe de potes qui squatte devant un parc. Je sais pas trop s’ils se connaissent, mais je commence à me sentir mal à l’aise, dans un environnement hostile, avec trop de gens qui potentiellement pourraient m’emmerder, je force le pas, je baisse les yeux et je fonce.
Ce dont je n’avais pas l’habitude, c’est cette femme qui fait partie du groupe de squatteurs :
« Ah non mais je suis pas d’accord là! La femme qui rentre chez elle, tu la laisses tranquille! »

❤ ❤ ❤
Toi, toi! On ne se connait pas, mais je t’aime. Je t’aurais embrassée. Tu m’as fait sourire, et même rire un peu tellement j’étais ravie de cette répartie. Je me suis quand même barrée, mais ce n’était plus du tout la même ambiance, dans cette rue, ce soir-là : il y avait des âmes. Ce genre d’événement, ça met la patate!
Je suis arrivée à la station de métro encore toute souriante, je volais sur un petit nuage, et il y avait de la musique, un air de jazz. J’ai dansé un moment toute seule, sur le quai, ma petite danse de la victoire, un mix de salsa et de tango. Je me demande s’il y avait des gens derrière la caméra de sécurité du métro ce soir-là. J’étais seule sur le quai, mais j’étais avec tout un tas de femmes qui riaient avec moi, de tous les âges et de toutes les époques.

Je comprends pas le harcèlement de rue. J’aime bien regarder les gens dans les yeux, parfois même dire bonjour de façon totalement gratuite, comme on dit bonjour à ses voisins, quand on travaille dans la même boîte, quand on se balade dans la même ville ou qu’on habite la même planète. Mais pas « Hé madame ». C’est quoi cette apostrophe? Qu’est-ce que tu veux répondre à ça, mis à part « Vas-y tocard dégage »? Ca peut pas marcher. C’est pas possible, c’est pas pour parler : c’est juste pour faire chier. C’est pour ça que c’est une agression, le harcèlement de rue. Agresser des gens au hasard, parce qu’ils peuvent, je suppose, parce que personne ne proteste, parce que c’est trop nul pour qu’on y accorde ne serait-ce qu’une once d’attention. Un truc pour passer le temps, ils n’ont vraiment rien de mieux à faire? Je comprends pas.

Je me demande si c’étaient les mêmes lascards / tocards, ceux qui faisaient chier quand on était gamins, les « intimidateurs » de cour de récré.
Je n’ai pas l’impression d’avoir trop subi ça, pourtant on m’a affublée de plein de surnoms plus ou moins pourris, j’étais souvent en tête de classe, on a dû globalement me faire chier. Je me battais en primaire, dans la cour de récré, l’institutrice qui ne s’en mêlait généralement pas m’avait simplement demandé de ne pas viser entre les jambes des garçons. J’étais pas mal renfermée, je me mettais moi-même à l’écart des groupes et je ne sociabilisais pas. Je les trouvais souvent stupides ces gosses, et leurs moqueries, leurs chamailleries, c’était le summum de la connerie. Après, ils pouvaient toujours me traiter de tous les noms, je savais ce que je valais, j’avais mes notes, elles étaient bonnes, pas les leurs. Je n’avais pas envie d’aller aux fêtes d’anniversaire, et on ne m’y a pas forcée.
Moi encore, ce n’était pas grand-chose. La petite fille qui s’appelait Gwenaëlle dans la classe, et qui était vraiment gentille et douce, je l’aimais bien parce qu’elle ne me faisait pas chier, mais les autres avaient trouvé très amusant de la traiter de « gouine » à tout bout de champ. C’était facile, ils l’appelaient comme ça tout le temps, ça ressemblait à son prénom, elle était gentille, il n’en fallait pas plus. Et la petite africaine de notre classe, qui galérait un peu en cours, elle était gentille aussi mais quand on la faisait chier, elle se défendait. Ils ne se sont quand même jamais lassés de la mépriser. Elles ont dû en baver, et rapidement elles ont disparu de la circulation. J’avais l’impression qu’elles avaient été déscolarisées. Elles avaient l’air de venir de milieux sociaux défavorisés. Ca n’a pas dû aider, peut-être même faire d’elles des cibles pour les tyrans de l’école.

Au collège, on m’a affublée de toute une vie extra-scolaire et extra-terrestre, que j’ai plus ou moins repris à mon compte pour en faire ma légende. Sur mes photos de classe, mes camarades n’ont quand même pas laissé de mots très tendres. Jusqu’à la fin du lycée, je n’allais pas aux événements sociaux. Des garçons qui se disaient mes amis m’avaient surnommée « moustache ». Les seuls amis que j’appréciais vraiment, ils ne m’ont jamais appelée comme ça. D’ailleurs c’est peut-être parce qu’ils ne l’ont pas fait que je les appréciais. Et les autres…
Certains optent pour une réponse verbale ou physique sèche ou forte, une carapace ou une attitude intimidante, pour garder les autres à distance et imposer leurs limites. Un coup de boule peut aussi apporter des ennuis à court terme mais imposer le respect à plus long terme. Personnellement, j’ai cultivé l’art de me foutre de ce que les autres pensaient de moi, et je l’ai élevé au rang d’art. Tous les enfants, tous les adultes qui ont été à l’école sont passés par là je pense, et sont devenus soit étanches aux opinions des autres, soit dépressifs, je ne vois pas d’autre possibilité.

Et ça n’aide pas quand on est enfant, de voir les adultes démunis, qui ne savent absolument pas quoi faire pour aider leurs gosses, et le plus souvent choisissent d’ignorer le problème, ou de le minimiser, en attendant que ça passe. Mais il faut quand même réaliser que ça ne passe jamais, que les enfants deviennent adultes et qu’il y en a toujours qui se font emmerder, des femmes dans la rue, ou n’importe quelle personne qui sort un peu de la norme sociale, n’importe quelle tête qui dépasse. On dirait une dynamique de groupe pour contrôler les électrons libres.

Maintenant, on a le droit à une scolarité sans harcèlement, c’est quand même bon de le savoir. Les écoles ont le devoir de la fournir, du coup, cette scolarité sans harcèlement. Et on a le droit de se plaindre et d’être entendu si ce n’est pas le cas. Ce n’est pas que les écoles, c’est tous les adultes, parents, alliés, qui ont leur part de responsabilité, et leur rôle à jouer. Leur rôle d’autorité, mais avant tout d’écoute et de compréhension. On ne dit pas que « c’est rien », « ignore-les, ça va passer… » C’est faux! C’est quelque chose, c’est grave, les enfants en souffrent, et ça ne passe pas.
Un enfant qui est harcelé n’a pas à continuer à subir jusqu’à exploser. Le meilleur conseil qu’on puisse donner serait peut-être plutôt d’admettre qu’il y a une différence, chaque enfant étant unique, ce sont ces différences qui sont ciblées par les intimidateurs. Il s’agirait peut-être de reconnaître la réalité des réactions et du harcèlement qui a lieu, d’accepter ses différences, et de se faire accepter avec cette différence. En tout cas trouver d’autres stratégies plutôt qu’endurer le harcèlement, qui est en soi inacceptable.

Et vous, vous avez déjà été harcelé?

Transport en commun

Si tu sais méditer, observer et connaître
Sans jamais devenir sceptique ou destructeur,
Rêver, mais sans laisser le rêve être ton maître,
Penser sans n’être qu’un penseur

Si : Tu seras un homme, mon fils (Rudyard Kipling)

Ca m’avait manqué, les transports en commun.
Avant d’habiter à la campagne, je prenais le bus tous les jours. Je suis malade dans les transports, alors le bus, le train, ce sont des occasions de me poser, penser, dormir, rêver, toutes choses que j’aime faire, et que j’aime faire souvent.

C’est vrai que conduire une voiture, ça va plus vite. Alors si on calcule, on prend sa voiture. Mais parfois la voiture n’est pas dispo, ou alors on se rappelle que c’est compliqué de se garer en ville, et on prend plus de temps, on fait autrement. Et c’est bien.

Ca fait du bien de changer de rythme. Je ne veux pas dire de ralentir tout le temps, ou de s’habituer à un autre rythme : je pense que ce qui fait du bien, c’est le changement. Dans une vie rapide, de ralentir par moments. Dans une vie calme, de prendre un passage un peu speed. De voir qu’on peut, qu’on en est capable, et que c’est bien aussi. Et puis de retrouver des choses qu’on trouve rarement.

En ce moment je ne manque pas de sommeil (rapport au fait que je dorme souvent seule, je crois), du coup je profite vraiment de ces moments de transport, où je ne conduis pas. Je voyage seule, je ne papote pas avec quelqu’un, je ne mets pas ma musique préférée : je me plonge à l’intérieur de moi-même. Le paysage qui défile, je connais peu de décors qui invitent autant à la méditation et à l’introspection. Essayez, vous verrez : la mémoire est stimulée par tout un tas de petits détails, la pensée est libérée de toute contrainte et part dans tous les sens. Pour moi c’est le pied.

Ces moments posés et introspectifs, c’est difficile de les trouver dans le quotidien, où on a tendance à meubler chaque instant avec une activité, un truc à faire ou à mettre dans son calendrier (je ne suis pas la dernière à faire ça). Toute cette activité c’est très bien, mais il faut aussi trouver ces moments de calme pour que le cerveau puisse s’étirer, souffler et gambader. Loin des écrans, loin des gens, loin des soucis du quotidien, c’est le moment où je me dis que quand même, je me sens bien. Ca me parait presque obscène de dire ça, mais oui, je suis heureuse.

Dans le tourbillon de la vie, parfois il y a des doutes, mais quand je m’en extrais, quand je me pose hors de chez moi, que je regarde la campagne, et que je pense à ma vie, celle que je vais retrouver dans une heure, quand j’y pense de loin, loin du stress, du rush, des trucs à faire, alors je trouve cette vision d’ensemble. C’est dans ce moment que je sais vraiment si je me débrouille bien, si la direction est bonne. C’est ce recul qui me permet de réaliser mon état émotionnel global, mon bonheur. Et c’est dans cette connaissance que je puise ma confiance et mon énergie.

Et vous, comment est-ce que vous prenez du recul sur votre vie?

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