« Si les portes de la perception étaient nettoyées, chaque chose apparaîtrait à l’homme comme elle est, infinie. » (Le mariage du ciel et de l’enfer, William Blake)
Pauvre pâquerette.
J’ai parlé des débuts d’une relation passionnelle ici. Mais toutes les relations amoureuses ne sont pas comme ça. En fait, j’irais même beaucoup plus loin que ça : je pense que toutes les relations amoureuses sont fondamentalement de nature différente.
Je ne sais pas comment les monogames le vivent : est-ce que toutes vos relations suivent le même schéma? Une phase de lune de miel, suivie du dédain et du passage à quelqu’un d’autre? Ou bien le classique escalator relationnel, peut-être?
De mon côté, j’ai eu différentes relations amoureuses dans le temps, et aussi différentes relations amoureuses en même temps, et la seule chose qu’elles ont en commun, c’est l’amour. Amour que je ressens aussi dans des relations amicales d’ailleurs, juste moins fort je dirais.
J’ai connu des relations amicalo-amoureuses, où on est un peu entre les deux, des amis qui couchent ensemble, et parfois on a envie de se dire je t’aime, mais sans trop réussir à le dire parce que d’habitude quand on dit ça, ça veut dire qu’on est amoureux, et là pas vraiment, juste on est attirés l’un vers l’autre et on s’aime quand même beaucoup, mais pas plus que d’autres amis, parce qu’il y a des amis qu’on aime vraiment beaucoup, et bref, c’est compliqué.
J’ai connu des relations amoureuses sans phase de lune de miel, où juste on partage de bons moments ensemble, on se sent bien l’un avec l’autre, on se confie l’un à l’autre, où tout se passe très facilement. Naturellement on se met à se projeter, et puis on devient un couple. On devient amants, et on devient amoureux, sans vraiment être tombés amoureux, enfin c’est un peu diffus parce que ça s’est étalé sur des mois ou des années. On n’a pas perdu la tête, on a même toute sa tête et tout son cœur, et tout ça est en accord pour dire que cette personne, c’est un amour et qu’on l’aime vraiment très fort.
J’ai connu des relations amoureuses où je commençais par être attirée spirituellement, où on se lie d’affection et où plusieurs années après, je deviens physiquement très attirée aussi.
J’ai connu des relations amoureuses où je commençais par être attirée physiquement, très fort, et où je suis tombée raide amoureuse, émerveillée qu’on me rende mon amour.
J’ai connu des relations amoureuses platoniques, d’autres passionnées. J’ai connu des relations amoureuses très peu engagées, d’autres fusionnelles. J’ai connu des relations amoureuses qui s’éteignent avec le temps, d’autres où l’amour ne devient que plus grand et plus beau avec les années. J’ai connu des relations amoureuses marquées par la dépendance, par la prudence, par l’insouciance, par une infinie bienveillance.
J’ai connu des relations amoureuses avec du sexe intense et décoiffant, avec du sexe ludique et plaisant, avec du sexe doux et tendre, sans sexe.
J’ai connu des relations amoureuses où on se fiance, où on se marie, où on achète une maison ensemble, où on accueille d’autres personnes dans la famille, où on veut garder sa liberté, où on a chacun son chez soi, où on vit à distance, où on manque de temps pour partager tout ce qu’on aimerait partager, où on partage tout, où on partage peu, où on s’engage à vie, où on s’engage pendant 1 an, où on s’engage jusqu’à demain.
J’ai connu des relations amoureuses éthiques, où je pouvais être moi-même, joyeuses et lumineuses, et d’autres où je mentais, où je me sentais en cage, où mon partenaire allait mal, où j’appelais d’autres choix.
Je ne cherchais pas un style particulier de relation amoureuse. Je ne cherchais tout simplement pas de relation amoureuse, à la base. J’ai simplement rencontré des personnes qui m’attiraient, et laissé libre cours à mes envies, écouté celles des autres, pour forger ensemble des relations qui correspondent à chacun, dans le contexte du moment. Et à chaque fois, ça donne une relation amoureuse différente.
On peut trouver des étiquettes, des noms pour chaque type de relation. Il me semble avoir lu quelque part à ce sujet, mais je ne retrouve plus où. En gros, il y a deux modes de pensée pour envisager ses relations amoureuses : chercher des relations d’une forme précise, ou bien constater la forme que prennent les relations au fur et à mesure. Dans le premier cas, on cherche un époux, un partenaire de vie, un petit copain, un plan cul. Dans le second cas, on cherche à rencontrer des gens, et selon ce qui se crée avec eux, on se retrouve avec un conjoint, un compagnon, un ami, ou avec plusieurs de chaque éventuellement. Je ne sais pas à quel point ça se rapproche de l’anarchie relationnelle. On met quand même des étiquettes sur les relations pour savoir de quoi on parle, mais elles ne sont que le reflet de ce qu’on observe dans la relation, pas ce qu’on attend de la relation. Ce sont deux attitudes assez opposées en fait, et qui ne donneront pas du tout les mêmes résultats.
Je pense que c’est particulièrement déstabilisant pour quelqu’un qui n’a jamais connu de relation amoureuse, qu’on lui dise que ça peut prendre tout un tas de formes différentes, et que tout est bien si ça convient vraiment à chaque personne concernée ; mais je ne vois pas ce qu’on pourrait dire de mieux.
Bon, généralement, ça commence quand même par une attirance. Ça peut être ténu, un petit quelque chose, un détail qu’on aime bien, son sourire, la douceur de sa voix, son regard perçant, ses blagues cyniques. Ça peut être une aura, une chaleur qui pousse vers l’autre, une impression solaire, une simple envie de passer un moment ensemble parce que ça fait du bien. Ça peut être une attirance charnelle, physique, discrète ou terriblement puissante, son parfum qui nous entête, son corps qui fait fantasmer, qui excite, qui fait palpiter. Ça peut commencer tout doucement et devenir de plus en plus fort. Ça peut être un véritable coup de foudre.
Après se pose la question de ce qu’on veut faire de cette attirance. On choisit si on veut en faire quelque chose ou pas, en fait. Par exemple si on est en couple exclusif et qu’on est attiré par quelqu’un d’autre, on peut laisser tomber, tromper, ou renégocier l’exclusivité. C’est un choix important, c’est bien de ne pas le faire à la légère. Et c’est pour ça aussi qu’on ne peut pas vraiment dire qu’on ne choisit pas de qui on tombe amoureux. Au moins à ce moment-là, quand on choisit d’agir ou pas sur la base de l’attirance qu’on ressent, on choisit.
Une fois que c’est réglé, et si on a fait le choix d’agir sur cette attirance, tout un panel de possibilités s’offre à nous. On parle, on apprend à connaître l’autre, voir s’il y a d’autres choses plaisantes, ou des choses incompatibles. Si le cœur et surtout le corps nous en dit, on peut coucher ensemble. C’est une phase de découverte de l’autre plus ou moins longue, qui ne s’arrêtera jamais vraiment puisque les gens évoluent aussi. En découvrant l’autre, on peut commencer à voir des choses qui nous posent problème, et en parler.
Quand on est à l’aise dans notre relation, on peut la présenter à quelques proches ou amis. Personnellement je fais ça très vite et très naturellement. C’est généralement considéré comme une marque d’engagement, et ça peut être un pallier compliqué à négocier, surtout quand on ne veut pas trop s’engager ou qu’on n’est pas sûr de vouloir cette relation en premier lieu.
On peut organiser des choses ensemble. Probablement pas tout d’un coup, mais des sorties, des week-ends, des vacances, des voyages. Il faut souvent un peu de temps et surtout de la confiance pour pouvoir se projeter dans une relation. Mais ça peut aussi arriver très vite, et dans ce cas pourquoi se priver?
On peut construire des projets ensemble, notamment des projets de vie, habitat, enfants, départ à l’étranger, pacs, mariage, etc. Pour ça, je dirais que prendre un peu son temps, c’est quand même bien. Beaucoup de relations succombent à l’empressement : ces projets impliquent des contraintes et une pression sur chacun et sur le couple qu’il faut être prêt à gérer. Un couple tout récent est rarement équipé pour affronter ce genre de tempête.
Bon, ça ressemble à un escalator relationnel, tout ça. Pour ceux qui ne connaissent pas, c’est cette idée qu’une relation amoureuse suit une progression prédéfinie par la société, par ce que tout le monde attend d’une relation, qui va de l’attirance du début, au moment où on sort ensemble, à quand on est un couple, on s’installe ensemble, on a des enfants, on se marie, on achète un pavillon avec jardin et un chien et on vieillit ensemble et on meurt. On monte sur l’escalator relationnel, et on se laisse porter jusqu’au pavillon en haut, ça se fait automatiquement si on n’y réfléchit pas, la société nous aide et nous porte sur l’escalator parce que c’est ce que tout le monde attend d’une relation.
Mais en fait, tout ça, ce sont juste des possibles. On peut aussi simplement se regarder benoîtement et ne jamais se toucher, et vivre une relation amoureuse platonique renversante. On peut commencer par coucher ensemble et parler après. On peut faire ce qu’on veut. On peut même appeler amour ce qu’on veut.
Pour moi, aimer, être dans une relation amoureuse, et être amoureux, sont trois choses différentes. C’est un peu compliqué.
En début de relation, quand je ne connais pas depuis très longtemps la personne, je peux déjà me dire en relation amoureuse. On partage de bons moments ensemble, on s’embrasse, on couche ensemble, bon, c’est une relation amoureuse à mon sens.
Je peux aussi commencer à dire « J’aime ton odeur », « j’aime tes yeux », « j’aime ton humour ». Ce sont des petits « je t’aime » pour moi. J’entends comment ça sonne. Je tâte le terrain de mes sentiments. Je sais que je commence à m’attendrir.
Aimer, ça prend plus de temps. Je commence par apprécier la personne dans son ensemble, non plus par détails. Je peux aussi dire « Je t’aime beaucoup », qui est sur la voie de « Je t’aime », pas comme « Je t’aime bien » qui signe plutôt la friend-zone.
« Je t’aime », c’est quelque chose de fort pour moi. Ça veut dire que je t’embrasse entièrement. Que j’ai envie de me lier à toi. Que je reconnais ce que tu apportes dans ma vie, et que je souhaite que tu continues à le faire. Que je t’aime comme tu es. Je le dis le plus souvent possible à mes amours. Je le dis parfois, et pas assez, à ma famille, et à mes amis.
Etre amoureuse, c’est un sentiment un peu différent. Je me sens portée par une énergie mystérieuse, joyeuse. Je peux notamment être prise d’une frénésie de projets et de rêves. Je peux aussi perdre l’appétit, le sommeil. J’ai moins envie de faire des choses seule. C’est un état un peu modifié, altéré. Je ne le recherche pas spécialement. Je me sens profondément amoureuse de plusieurs personnes, et d’autres je sais que je ne le suis pas, mais j’ai un peu de mal à me l’expliquer généralement.
Et si encore il ne s’agissait que de mes sentiments. Mais la personne en face ne ressent sûrement pas exactement la même chose. Et en plus, chacun a sa propre compréhension de tous ces mots, et être amoureux, aimer ou être dans une relation amoureuse ne veulent pas dire la même chose selon la personne qui le dit. Je ne sais même pas comment on fait pour vaguement se comprendre dans tout ça. Certainement que nos actions et notre langage corporel parlent plus clairement.
Et vous, quand est-ce que vous dites je t’aime? Et qu’est-ce que ça veut dire?